

Inédits

La lune advenue comme une eau seule
Voiles
Et vous belles âmes de passage
dans la fleur de la nuit
Nuages que remue le vent

La lune advenue comme une eau seule
Elle s’est levée de table sous des platanes d’air
visitée soudain par une légende
Elle allait, lente, cueillir dans la nuit
les mots d’un rêve bleu dont elle était absente
La lune advenue comme une eau seule
Une trace d’effroi dans l’herbe a guidé les chiens…
Elle dormait dans le soupir des fougères

Janvier divisé de glace et de noir
sonne la cloche du sort
Dans la ville décimée
la faim nous use
Plus guère que les yeux
pour dépecer la moindre dépouille
ou quelque verdâtre lambeau
Plus de maison
Janvier divisé de glace et de noir le sait
La peau éclate comme un fruit
Les clous du vent charcutent nos nerfs
Bientôt les os seront à vif
Une lumière de fiel corrode l’ombre
Une ultime feuille tremble
Les enfants nus trébuchent sur leurs parents

Genève, Cimetière des Rois
La lune advenue comme une eau seule
J’ai déposé des roses blanches sur sa tombe
et reste là boulevard au feuillage obscur
à cueillir le murmure des mondes enfouis
dans le silence et le déclin des saphirs bleus
la lune advenue comme une eau seule

Crépuscule
Le ciel, ce soir, chancèle en ses lenteurs blêmes, et brasille. Pour ces noces sans musique, des nuages solitaires répandent la violette et la belladone. Un jet d’eau invisible creuse la voûte céleste de ses résonances. Derrière le front des façades vrombissent, lointains, des moteurs.
Un souffle circule dans les arbres, il invite les branches et leurs dentelles d’or à une danse rêveuse ; l’air égrène la grâce parmi les feuilles, dans le soir qui, lentement, chavire entre les ultimes vapeurs du jour et les antennes paisibles de la nuit.
Délicieuse attente, moment où l’on n’espère plus rien - sauf une respiration, une apesanteur devant le soir qui se retire en ses anciennes demeures, alors que la cerise noire du désir brûle encore de ses poisons.

Passage de l’invisible
Nous avons composé dans la patience de nos mains l’ordre paisible des chambres pour séjour du silence.
Issu de la lumière première, une hiérarchie secrète assigne aux livres un rayonnement à hauteur de rêve : les voici restaurés, rafraîchis, dans la ruche de la bibliothèque où flotte, poussière d’or, la mémoire de la galaxie humaine.
La faux grise de l’hiver se recueille auprès d’une chaise en bois de cerisier ; sous l’éclair, jaillit un coussin bleu. L’autre monde vient de passer entre les rideaux, qui le savent.